Quatrième argument de Sébastien Faure : l’idée d’une création divine est contradictoire, car « durant les milliards et les milliards de siècles qui, peut-être, ont précédé l’action créatrice, Dieu était inactif […], oisif et paresseux […], inutile et superflu », alors que Dieu est « essentiellement actif et essentiellement nécessaire ».
Apparemment, personne n’a jamais expliqué au penseur anarchiste que Dieu est, par définition, en dehors du temps. Si l’on emploie parfois, à son sujet, tel ou tel adverbe de temps – en s’interrogeant, par exemple, sur ce que Dieu était et faisait avant la création –, ce n’est qu’une façon de parler liée à notre façon humaine de nous représenter les choses. En Dieu, il n’y a ni avant, ni après, ni aucune succession temporelle, car il est éternel et immuable.
Admettons pourtant, provisoirement, cette expression inexacte, et même cette conception enfantine d’un Dieu qui attendrait patiemment, dans son éternité, le moment d’appuyer sur le bouton déclencheur du Big Bang. Ce Dieu qui n’a pas encore créé est-il pour autant inactif ? Évidemment non ! Sébastien Faure reconnaît lui-même que Dieu est « essentiellement actif et essentiellement nécessaire », ce qui signifie, si les mots ont un sens, qu’il agit éternellement en lui-même, sans avoir besoin d’extérioriser cette action.
Saint Thomas (que Sébastien Faure a encore raté une bonne occasion de consulter) souligne qu’il y a différents modes d’action dans la nature. Le géranium est supérieur au granit parce qu’il peut s’assimiler les éléments qu’il puise dans la terre (vie végétale). Mais le chien a une vie plus parfaite que le géranium parce qu’il peut former, dans sa mémoire, des images de ce qui l’entoure (vie animale). L’intelligence humaine est, à son tour, plus parfaite que l’imagination animale, parce qu’elle abstrait davantage. On constate ainsi, finalement, que les actions des vivants sont d’autant plus parfaites qu’elles sont plus intérieures et plus indépendantes de l’extérieur [6]. Si l’on poursuit dans cette ligne, l’opération la plus parfaite est, logiquement, celle d’une intelligence qui se comprend parfaitement elle-même, sans avoir besoin d’un objet extérieur. Telle est précisément la vie de Dieu. En se connaissant et s’aimant lui-même de toute éternité, Dieu est souverainement actif. La création de l’univers n’est qu’un reflet accidentel – et totalement facultatif – de cette action éternelle.
Notons, avec saint Thomas, que ces vérités sont purement rationnelles. Un philosophe peut les démontrer sans le secours de la foi, comme le montre l’exemple d’Aristote :
« Aristote ayant montré au livre XII de la Métaphysique que Dieu est l’intelligence même, conclut qu’il a la vie parfaite et éternelle, parce que son intelligence est souverainement parfaite et toujours en acte. »
Mais ces réflexions, qui couronnent la démonstration rationnelle de l’existence de Dieu, reçoivent de la révélation chrétienne une lumière supplémentaire. Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu (Jn 1). Il y a en Dieu, de toute éternité, cette action absolument parfaite qui est la génération d’un Verbe, parfaitement semblable à son Principe, au point ne faire qu’un seul être avec lui.
Une fois de plus, l’argument de Sébastien Faure s’est retourné contre l’athéisme et vient, en fait, renforcer la religion chrétienne qui, seule, révèle à l’homme l’action éternelle de Dieu.
Texte reproduit avec l’aimable autorisation des Dominicains d’Avrillé
[6] — Nous simplifions ici la démonstration donnée par saint Thomas dans la Somme théologique, première partie, question 18, article 3, qu’on peut utilement rapprocher du chapitre 11 du quatrième livre de la Somme contre les gentils.